Nous avons eu du flair.
Dans la cécité de cette nuit de février, lorsque nous nous sommes enfilés aux abords du lac Pukaki sans en voir la topographie, nous avons visé juste. A première vue, nous sommes à cinq mètres de l’eau, bien seuls, si seuls. Au loin, deux autres véhicules crèchent à distance raisonnable, sans entrer à aucun moment dans notre intimité.
Quand je sors de la charrette pour aller me plonger dans l’eau au petit matin, j’effleure un terrain qui s’enroule en de petites berges touffues qui se brisent devant un amas de galets plongeant dans une eau placide d’un opaque turquoise. Il nous faudra attendre les premières lueurs du jour pour en voir rayonner toute la splendeur. Les pins déversent leurs pives au sol lorsqu’ils ne les rejoignent pas, car trop près du bord, les racines incapables de contenir leurs immenses corps, les voilà affaissés de tous leur long, le bec dans l’eau. Quant à l’horizon, il donne sur la réserve du Mont Cook dont la chaîne de montagnes rayonne la pureté, et en lequel le Mont Cook focalise tous les regards, si magnétique…
Le ciel du matin, laiteux, contraste avec l’amplitude de celui plus ouvert de la veille qui nous offrait son lot d’étoiles sans qu’un seul cumulonimbus ne nous fasse de la résistance. Dès lors, on prie pour que la température soit plus clémente, que l’été revienne …et croyez le ou non, une âme haut perchée a entendu nos incantations et nous a servi une tempête solaire. Ni plus ni moins.
Plus tard dans l’après-midi, nous remarquons les traces d’un ancien foyer, témoin d’un feu ayant pris place sur notre digue. Il n’en faut guère plus pour motiver Koh Sandra qui, ni une ni deux, dresse quatre cailloux les uns contre les autres, ramasse une série de brindilles et boute le feu à cet amas boisé. Un petit feu de rien du tout, qui nous permettra de réunir quelques braises et y glisser banane et patates douces qui nous sustenteront modestement avant d’aller plonger une nouvelle fois dans l’eau.
Compte tenu de la splendeur de la météo, je décide de marcher le long des berges dans l’après-midi, remonter jusqu’au campement d’en face en suivant le chemin le plus arpenté. Je n’ai jamais aimé les choses simples. Inconscient, j’omets de mettre de la crème solaire et finis cramoisis, mais vivant. Il me faudra rester à l’ombre du van la seconde partie de l’après-midi afin de limiter les dégâts.
Une journée particulière, prologue d’une nuit hors du temps lorsque nous décidons d’aller à la rencontre de deux jeunes gens qui viennent de garer leur véhicule à courte distance et dont on reconnaît le langage francophone. Deux allemandes nous ont snobé plus tôt, Mathieu et Pierre, eux, ne sont pas de cette souche. Très avenants, les deux individus qui se frottent au working holiday visa bénéficient d’une année qu’ils se partagent chacun entre la Nouvelle Zélande et l’Australie, se rendant visite l’un l’autre au gré de leur année respective. Après avoir dévoré quelques biscuits, et passé l’heure du thé, Koh Sandra suggère de remettre le feu en marche, et de s’y réunir autour. Après une vague hésitation – avons-nous le droit ou non? (nous apprendrons plus tard que c’est un des interdits absolus en Nouvelle Zélande) – nous remettons des brindilles dans le foyer et rallumons l’incendie.
On décapsule bientôt les coronas et apprécions cet espace-temps, prenant sa source au coucher du soleil jusqu’au vertige d’un plongeon dans l’océan d’étoiles. Nous finissons par glisser deux autres bananes dans le feu, agrémenté de quelques carrés de chocolat (merci Jaja!), histoire de dignement terminer cette journée. La fraîcheur toute relative de la nuit finit par nous souffler à l’intérieur du campervan, mettant un terme à cette rencontre fort heureuse.
Quand la magie d’un espace et l’audace d’une rencontre convergent, cela donne souvent des moments qui confinent au sublime. En cette seconde journée dans notre petit van, nous pouvons nous targuer d’avoir su franchir ce cap et pu apprécier la beauté de l’instant. Le lac Pukaki est un lieu que je recommande à quiconque traverserait le Nouvelle Zélande. Selon la lumière, ces eaux donnent à voir et à sentir une atmosphère à laquelle on est peu habitué de son vivant. Suite au prochain épisode… |
Jimmy Roura