L’écran du téléphone est catégorique… Neige à Genève. Pluie à Milford. Une affirmation que nous avons de la peine à prendre pour crédible, car au dessus de nos têtes, le ciel joueur comme jamais nous nargue de son bleu, semblant nous souffler à l’oreille : « à un jour près… ». Connard. Dubitatifs, mais conscients du chemin qu’il nous reste à accomplir, nous faisons le choix de remonter en direction de Queenstown qui s’esquisse comme un point d’ancrage tout trouvé à la mi-journée. Nous avons reçu de bons échos de la part de Mathieu et de Pierre qui la quittent pour rejoindre Te Anau, le coeur des Fiordland. Nos chemins dès lors se séparent pour quelques temps…
Alors nous remettons le contact du van en marche et arpentons monts et collines que les moutons croquent sans sourciller. Nous en avons la preuve la plus sincère, considérez le par vous-même :
En entrant dans Queenstown, le temps estival sonne comme une invitation à flâner, programme qui s’impose dès lors que nous avons parqué le van et déposé les 3 $ dans l’horodateur. Nous avons trois heures devant nous. La ville est construite aux abords d’un lac majestueux, faisant face aux Remarkables, chaîne de montagnes imposantes qui se dressent telle une paroi hermétique au monde. Depuis le centre, il est possible de monter dans un téléphérique et d’apprécier la vue environnante mais nous n’y trouvons guère d’attrait, tout juste une curiosité. Nous prenons à défaut la direction du port et mangeons dans une halle à l’abris du vent. Deux plats vietnamiens nous seront amenés par une serveuse à l’adorable minois mais ce n’est pas ce que nous retenons en premier lieu. Nous gardons plus précisément en mémoire la glace italienne que certains léchaient à pleine langue quelques minutes auparavant et mettrons un temps infini à en localiser le point de vente. Alors nous faisons quelques achats néo zélandais entre-temps. De vrais globe trotters… Nous nous perdons surtout dans un parc qui a tout pour lui : frisbee golf au milieux des sapins, courts de tennis en bordure du jardin botanique, skate parc discret, littoral resplendissant faisant face à la péninsule attenante… Cet espace nous absorbe. Si bien que nous terminons par manger une glace une heure après celle indiquée par l’horodateur puis déambulons encore quelque temps, histoire de compléter nos achats. Rien à foutre!
Dès lors infime, le chrono restant pour rejoindre Wanaka nous invite à solliciter le Lac Hayes qui nous avait accueilli avec majesté deux jours plus tôt. L’occasion pour moi de faire des photos de nuit. Au petit matin, les plus imprudents ont la gueule de bois. Elle est lourde de 200 $. Nous apprendrons en marchant entre les véhicules endormis que seuls ceux n’ayant pas la mention de self contained ont été verbalisés sans préavis. Deux poids, deux mesures dans ce monde. On se dit alors qu’il vaut mieux savoir perdre de l’argent en amont pour finalement en sauver en aval…
La suite du trajet nous invite à escalader la montagne pour tirer le veau en direction de Wanaka, ville paisible construite elle aussi à proximité d’un lac. Encore un… Nous longeons la plage sans déplaisir, appréciant la douceur saisonnière, puis faisons quelques autres courses d’appoints, dont un demi poulet que les guêpes boufferont en notre présence. Une vraie colonie qu’il nous faudra vaillamment ignorer, même si leur compagnie a quelque chose de franchement incommodant. « Je te rappelle que c’est moi qui suis allergique » me souffle Koh Sandra, visiblement peu impressionnée par cette nuée en train de lécher son poulet. « Il suffit juste de ne pas en avaler une ». Pragmatique. On fait ce que l’on peut.
Le vent finit par se lever et les chasser une à une, leurs petites ailes ne pouvant plus faire grand chose face à la tourmente des bourrasques néo zélandaises. Cela nous permet de convenablement ranger nos affaires puis de déguerpir dans le Far West. Oubliez les canyons, Lucky Luck et sa monture. Ici le terrain est… tropical. Nous roulons un temps considérable sous le poids d’une pluie torrentielle qui fouette la carlingue du véhicule. Comme dans les fjords, les montagnes se gorgent d’eau et font naître des cascades qui se brisent sur le bord de la route dans un vacarme tonitruant.
L’accalmie pointe le bout de son nez lorsque nous arrivons en bord de mer, l’occasion de s’arrêter pour boire un café. En suivant une pancarte nous arrivons dans le parking d’un vendeur de poissons, seule âme vivant sur le littoral. Un petit stand se dérobe de la maison familiale avec un léger couvert pour accueillir un attroupement de quatre jeunes qui sirotent un verre de blanc entre les gouttes. Le propriétaire des lieux cuisine Le Whitebait, petit poisson très prisé dans la région. Le kilo part à hauteur de 90 $. Curieux, nous lui demandons de nous y faire goûter. Il sort alors un gros bocal de derrière son comptoir duquel il extrait une nuée de ces poissons noyés dans le visqueux du jaune d’oeuf, une louchée qu’il tartine sur sa grande plaque fraîchement nettoyée. En dix minutes, il nous les sert sur deux toasts qu’il a finement assaisonnés. Une belle bouchée à 9 $ la tranche de pain.
Nous reprenons la route avant que la nuit ne tombe, sous un déluge sans commune mesure, roulant aux pieds de glaciers invisibles. Nous finissons dans un camping / parking où tous ceux qui ont voulu économiser 40 $ viennent y passer la nuit, près d’un autre lac. Au menu, gratin de pâtes.
Au lendemain, nous reprenons la route sans nous sustenter davantage. Après avoir roulé une heure, nous faisons halte dans une aire en amont de la route principale, modeste mirador caché des yeux du monde pour cuisiner quelque chose. Ce qui retiendra mon attention surtout, au moment d’aller pisser un verre, ce sont les ossements suspects à mes pieds. Un potentiel cadavre jeté dans la nature et qui invite à imaginer nombre de scénarios morbides. Les restes qui moisissent près d’une merde rutilante semblent bien humains, et ça personne ne pourra l’enlever de ma tête. Un road trip qui a fort mal terminé pour certains. Le nôtre se prolonge en direction de Kaikoura, point que nous souhaitons rallier à défaut du grand nord.
En chemin nous faisons un arrêt pour cuisiner, arrêt où nous comprenons que les sandflies ne nous feront aucun cadeau. Juste le temps de prendre quelques photos à l’extérieur qu’une nuée me course, ayant fait de moi leur casse-croûte favori, seul morceau de viande offert à leurs morsures. Le reste de la colonie semble chercher la faille à l’entrée de la porte coulissante du van au sein duquel Koh Sandra prépare sa mixture. Certaines pénétreront à l’intérieur le temps que je me mette à l’abris. Elles resteront collées à la vitre, inoffensive, avant de finir leurs vies dans un mouchoir.
Nous n’avons plus grand chose à rouler avant d’arriver à notre prochaine destination. Nouvelle surprise en cours de route, la région est en proie aux flammes. Cinq hélicoptères remplissent des sceaux d’une eau puisée dans le fleuve aval. On se demande comment ce ballet aérien espère contrer le brasier avec une si petite réserve de liquide. On se dit alors qu’ils ont l’habitude de ce dispositif.
Nous ne perdons guère plus de temps et avançons à vive allure vers les bains thermaux d’Hanmer Spring, le temps de gauger cinq heures dans des bassins allant de 33° à 40°. Un délice absolu. Nous trainons ensuite le van dans la partie haute de la ville, à l’arrière d’un parc près du service de voirie. Emplacement gratuit et de qualité, dernier saut dans les bras de Morphée avant de tirer notre carlingue jusqu’à Kaikoura, la sauvage. Quand nous reprenons la route au lendemain, après avoir mangé une assiette de pancake recouverte de lards grillés (!) et parlé avec l’alsacienne qui nous servait notre repas, nous remarquons que les voltiges aériennes n’ont pas contenu tout l’incendie. La face de la montagne ravagée a toutefois épargné deux maisons éparpillées dans le bosquet. Dans cette odeur de cendres, nous montons les tours et roulons à plein poumons vers le Grand Est qui lui est réputé pour sa faune. Koh Sandra aimerait aller danser avec les otaries…
Merci de nous suivre avec autant de rigueur, votre participation et fidélité nous sont précieuses. L’ouest de la Nouvelle Zélande (île du Sud), surprend par son sauvage. Personne ne vit vraiment dans cette région – un millier d’âmes tout au plus – ce qui donne le sentiment d’arpenter des espaces vidés de toute vie . La surprise de découvrir un univers aussi tropical en ces latitudes participent à l’étrangeté de ces paysages et nous encouragerait à revenir quelques jours avec un temps plus clément afin de mieux en saisir la substance. Définitivement. Ne regardons pas trop en arrière, cap sur Kaikoura maintenant, le sauvage éden…
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Jimmy Roura